La première fois

Ce n'était pas la première fois que je descendais de l'avion.

Je revenais comme chaque année à Abidjan-Côte d'Ivoire où je suis née.

Du haut de mes sept ou huit ans, je sentais la foule qui imprégnait l'air déjà lourd d'humidité. Les odeurs se mêlaient aux couleurs et me donnaient le tournis. J'étais fatiguée de ce voyage et il me tardait de rentrer à la maison - chez nous -, de retrouver Arouna qui m'avait manqué pendant ces vacances d'été passées en France chez mes grand-parents. Je savais qu'il nous accueillerait comme un autre membre de ma famille, ici - chez nous.

Arouna, du plus loin que je me souvienne, habitait notre maison de sa présence discrète et de son attention bienveillante. Il était plus jeune que mes parents et jouait avec moi à des jeux de patience, partageait ses musiques préférées et me racontait de mémoire ses légendes comme mon père me lisait des contes de fées.

Je ne sais plus qui est venu nous chercher à l'aéroport pour nous faire traverser la ville, longer la lagune et arriver devant chez nous. Là, je retrouvais mon jardin de bougainvilliers et d'hibiscus. Là, je retrouvais Arouna et soudain, alors que je courais vers lui, je réalisais que sa peau était noire et luisante, une peau d'ébène fendue d'un sourire d'ivoire, le même sourire qu'avant, le même regard doux qu'avant, sur moi, enfant, qui prenais conscience qu'il n'était pas de la même origine que moi.

Et tout à coup, ce fut moi qui me sentis différente.

Pour la première fois.